Edition de la semaine 19

Dans la salle des fêtes transformée en immense fumoir, cent vingt petits panaches de fumée blanche s'échappent soudain des bouffardes, signal de départ du 33e championnat de France des fumeurs de pipes, disputé ce week-end à Wervicq-Sud (Nord).

Les 77 concurrents français et 43 invités belges du concours de durée disposent tous de la même pipe, une "bruyère" bourrée de 3 grammes de tabac, de deux allumettes pour y mettre le feu, et d'un tasse-braise.

Après seulement 3 minutes et 24 secondes, la salle un peu moqueuse applaudit. Un jeune Flamand de 24 ans vient déjà de se "planter": sa pipe s'est éteinte, traduit un habitué. C'était son premier concours.

Assis à la même table, l'épouvantail du moment, l'Alsacien Fabien Ipseiz, 41 ans, champion en titre et surtout détenteur du record de France avec une pipe brulée en trois heures et deux minutes, à seulement 16 minutes du record mondial.

"L'objectif est de freiner la combustion à la limite de l'extinction. Si on fait cela, il faut se concentrer et c'est très prenant. Aujourd'hui je ne vais pas prendre de risque", prévient-il.

A chacune des douze tables, un "commissaire" surveille que les pipes sont bien allumées. "Si j'ai un doute je demande de la faire fumer", explique l'un d'eux.

Dans la salle, où portes et fenêtres sont bien fermées pour éviter les courants d'air, la fumée s'épaissit et l'odeur âcre-douce du tabac prend à la gorge.

Le temps passe et ils sont de plus en plus nombreux à se planter. Comme le le Lillois Olivier Dauvergne, vainqueur en 2002, qui abandonne après 38 minutes, loin des 2h23 de son record. "Le tabac était un peu humide. J'ai pris plus de risques", dit-il amusé en tirant avec volupté sur sa pipe, la sienne cette-fois, en ajoutant : "elle ne dure pas celle-là, elle se déguste".

A l'heure de jeu, ils sont une quarantaine encore en lice. Tous très concentrés, occupés sans cesse avec leur tasse-braise à faire circuler à la surface du fourneau le point rouge du tabac incandescent.

"J'écoute un vieux Beatles. Cela permet de passer le temps": casque de walkman sur les oreilles, Daniel Page, intituteur à Grenoble, a tenu 1h38.

Cigare aux lèvres, il dit être venu là "pour retrouver des amis et visiter la région", comme il le fait chaque année depuis son premier championnat en 1974 à Annecy. Pour lui, l'épreuve est "une figure imposée" car "avec une pipe neuve et du tabac quelconque, ce n'est pas du plaisir".

Après une heure et demie, seuls deux femmes - sur 17 engagées - et trois hommes, tous vieux routiers des concours, tirent encore sur leur calumet.

Esther Chartron, la soixantaine alerte, abandonne à 1h54, satisfaite d'être la première femme mais furieuse d'avoir "perdu le point rouge pendant une demi-heure".
L'épouvantail Ipseiz conserve son titre: il a mis 2h06 pour fumer ses 3 grammes de brun.